Traductions automatiques : garantir la confidentialité de vos données à l’ère du numérique

14 juin 2025

er-tim.fr

Le boom de la traduction automatisée : des données plus exposées que jamais

Depuis l’essor remarquable de l’intelligence artificielle, la traduction automatisée s’est imposée partout : des échanges professionnels jusqu’aux démarches personnelles, la rapidité et la simplicité d’outils comme DeepL, Google Traduction ou Microsoft Translator séduisent chaque jour des millions d’utilisateurs. En 2023, selon Statista, plus de 70% des PME européennes déclaraient utiliser un outil de traduction assistée ou automatique dans leurs interactions quotidiennes ou pour traiter leurs documents internes. Un chiffre en constante hausse.

Cette démocratisation, cependant, soulève une préoccupation majeure : la sécurité des données. Textes confidentiels, contrats, données clients, brevets, informations bancaires ou stratégiques transitent désormais par des serveurs externes, exposant potentiellement entreprises et particuliers à des risques de fuite, de piratage ou d’utilisation abusive de leurs contenus.

Quels risques concrets ?

La sécurité lors de la traduction automatique n’est pas un sujet théorique : le Centre national de la cybersécurité britannique (NCSC) alerte depuis 2019 sur la hausse des fuites accidentelles de données via les outils en ligne. Plusieurs incidents majeurs, relayés dans la presse, pointent du doigt des failles dont voici les principales :

  • Stockage temporaire ou permanent de textes sur des serveurs externes : par défaut, certains services conservent les données pour “améliorer la qualité”, parfois plusieurs mois, les rendant accessibles à leurs équipes techniques.
  • Exploitations à des fins d’entraînement IA : en chargeant un document, l’utilisateur peut contribuer sans le savoir à l’entraînement des modèles… et donc à la dissémination potentielle d’informations sensibles.
  • Vulnérabilité aux cyberattaques : même les géants du secteur ne sont pas à l’abri de brèches, comme l’a montré la faille de sécurité de Google Cloud en 2022 (source : The Register).
  • Non-respect du RGPD : de nombreux outils transfèrent les données vers des pays hors UE, ce qui constitue une infraction dès lors qu'il s'agit de données à caractère personnel (source : CNIL).
  • Mauvaise gestion des accès internes : un large accès en interne peut exposer des documents traduits à des employés non autorisés (voir l’affaire Statoil/Sensitive Data, 2017).

Analyse du cycle de vie des données lors de la traduction automatisée

Comprendre où et comment circulent vos données est indispensable pour choisir la bonne solution de traduction. Le cycle typique se décline en quatre phases :

  1. Saisie ou téléchargement du contenu : souvent via une interface web ou une API.
  2. Traitement par l’algorithme sur serveur distant (cloud) : vos données sont théoriquement “transitoires”, mais peuvent être stockées pour debug ou entraînement.
  3. Récupération de la traduction : le texte traduit vous est livré ; mais rien ne garantit que la version originale a bien été effacée.
  4. À des fins d’amélioration continue : duplication ou analyse des données envoyées en back-end par le fournisseur.

La question à se poser : à chacune de ces étapes, quels sont les points faibles et quelles garanties contractuelles avez-vous réellement ?

RGPD, Cloud Act et contraintes légales : ce que dit la loi

La réglementation européenne (RGPD) impose une vigilance très stricte concernant le traitement des données à caractère personnel. Elle considère la traduction automatique comme une forme de transfert de données vers un sous-traitant, souvent basé hors UE.

Depuis l’annulation du Privacy Shield en 2020, envoyer des fichiers sur des solutions américaines expose au risque du Cloud Act, qui autorise les autorités des États-Unis à accéder à tout contenu stocké sur des serveurs américains – y compris si les serveurs sont physiquement en Europe.

  • Le RGPD (articles 44 à 50) impose d’analyser l’ensemble du cycle de traitement, la politique de conservation et l'emplacement des serveurs d’hébergement de l’outil choisi.
  • La CNIL insiste sur la nécessité d’encadrer par contrat toutes les traductions impliquant des données personnelles ou stratégiques, sous peine de lourdes sanctions.

En France, plusieurs administrations et entreprises (défense, justice, santé, finances…) interdisent ou restreignent l’utilisation de traducteurs automatiques publics, privant ainsi certains collaborateurs de ces outils s’ils n’ont pas été “dédiés” et sécurisés pour l’organisation.

Solutions techniques et bonnes pratiques pour préserver la confidentialité

1. Préférer des outils “on-premise” ou dédiés

De nombreux éditeurs proposent aujourd’hui des serveurs de traduction privés hébergés chez le client (sur site, ou via un cloud souverain dans l’UE), à l’opposé des services classiques “grand public”. Par exemple :

  • DeepL Pro – For Teams / For Business : propose l’option “no data retention”, avec suppression immédiate des textes transmis (source : DeepL, page sécurité).
  • SYSTRAN Pure Neural Server ou PROMT Neural Translation Server : installation dans le système d’information de l’entreprise, sans transfert externe, assurant le contrôle total.
  • Reverso Secure Corporate : infrastructure hébergée en France, respectant les exigences RGPD.

Ces solutions sont incontournables dès qu’il s’agit de documents confidentiels ou réglementés.

2. Prendre le temps de lire les politiques de confidentialité

Selon une étude menée par le cabinet Omdia (2022), moins de 15% des utilisateurs consultent la politique de privacy avant d’utiliser un traducteur automatique. Or, c’est souvent là que se niche la mention de l’utilisation ultérieure des données ou des logs techniques. Avant de télécharger la moindre pièce sensible, analysez toujours les termes clés :

  • Rétention ou non des données
  • Utilisation des textes pour l’entraînement ou “l’amélioration du service”
  • Transfert hors UE, sous-traitants et garanties contractuelles

3. Penser à anonymiser les textes avant traduction

Une bonne pratique consiste à neutraliser tout élément identifiant ou sensible dans les documents traduits. Par exemple :

  • Remplacer prénoms, dates de naissance, numéros d’identification, références légales par des variables ou des codes temporaires
  • Supprimer données bancaires, adresses, numéros de téléphone
  • Segmenter les textes (traitez séparément les titres, annexes, etc. au lieu d’envoyer des rapports entiers)

Certaines entreprises automatisent cette étape avec des scripts d’occultation, garantissant qu’aucune donnée critique n’est prise en charge par le service de traduction automatique.

4. Restreindre l’accès interne aux outils de traduction

Installer une solution sur site ou une passerelle sécurisée doit s’accompagner d’une gestion fine des droits d’accès : seuls les profils habilités devraient pouvoir utiliser l’interface ou le service pour des traductions sensibles. L’intégration d’un système d’authentification forte (ex : SSO, gestion LDAP) est recommandée.

5. Chiffrer les contenus pendant le transfert

Si l’usage d’un outil cloud s’avère incontournable, assurez-vous que l’intégralité des échanges est sécurisée par des protocoles de chiffrement (TLS 1.2 minimum). Privilégiez les services qui chiffrent également les documents au repos sur leurs serveurs : Microsoft Translator inclut par exemple cette option dans sa version Entreprise.

Attention aux plug-ins et extensions : le risque invisible

De nombreux éditeurs (CMS comme WordPress, outils bureautiques, navigateurs) proposent des plug-ins qui promettent la traduction en un clic : ces modules sont souvent plus vulnérables qu’il n’y paraît. En 2023, la société Pradeo a révélé que plus de 37% des extensions de traduction disponibles sur Chrome Web Store présentaient de mauvaises pratiques en matière de sécurité.

  • Privilégier les versions officielles et régulièrement mises à jour
  • Désactiver tout plug-in pour les contenus à caractère sensible
  • Désinstaller les modules qui demandent un accès illimité aux historiques de navigation ou au contenu des pages

La formation des utilisateurs, clé de la sécurité

L’erreur humaine reste le facteur principal de fuites, même avec les systèmes les plus avancés. La quasi-totalité des incidents recensés par l’ANSSI (2022) sont liés à une utilisation inadaptée : envoi de documents juridiques avec données clients sur Google Traduction, absence de double vérification de la confidentialité de la plateforme, etc.

Il convient de sensibiliser régulièrement les collaborateurs :

  • En rappelant la politique interne d’utilisation des outils linguistiques
  • En mettant à disposition des guides pratiques, avec des exemples concrets de ce qu’il faut ou non traduire en automatique
  • En testant régulièrement le niveau de vigilance via des simulations (“phishing” par faux liens vers de faux traducteurs automatisés)

Pour faire le bon choix : check-list sécurité avant traduction automatique

Pour maîtriser les risques, voici une synthèse des actions à systématiser, que ce soit pour une PME, un indépendant ou une grande organisation :

  • Identifier la nature des données à traduire (sensibilité, caractère nominatif, niveau de confidentialité requis)
  • Vérifier l’emplacement des serveurs du fournisseur et la conformité RGPD
  • Privilégier un outil “dédié” ou on-premise pour les données sensibles
  • Mettre en place des procédures d’anonymisation le cas échéant
  • Former les utilisateurs et adopter une démarche d’amélioration continue (veille juridique, audits internes, etc.)
  • En cas de doute, solliciter le DPO (délégué à la protection des données) de l’entreprise avant toute utilisation

Traduction automatisée : conjuguer efficacité et sécurité

Les solutions de traduction automatique sont devenues incontournables dans le quotidien professionnel et personnel, mais elles exigent plus que jamais de la vigilance et une méthode éprouvée pour éviter tout risque de fuite d’informations. Les pertes liées à une mauvaise gestion de la confidentialité peuvent coûter très cher : 40% des organismes ayant subi une fuite via le cloud déclarent avoir perdu des clients ou des contrats dans l’année qui a suivi (source : Ponemon Institute, rapport 2023).

En maîtrisant l’ensemble du cycle de vie de la donnée, en s’informant sur les obligations réglementaires et en choisissant judicieusement ses outils, il est tout à fait possible de profiter de la puissance des technologies linguistiques modernes, sans sacrifier la sécurité au profit de la productivité.

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