Traduction automatique : repérer les pièges avant de leur faire confiance

11 juin 2025

er-tim.fr

Comprendre ce que promettent (et ce que cachent) les outils de traduction automatisée

Difficile aujourd’hui d’échapper à la révolution technologique qui a transformé la traduction. Applications sophistiquées, moteurs de traduction en ligne ou solutions intégrées, les outils de traduction automatisée sont partout : près de 72% des professionnels de la traduction déclarent les utiliser (CSA Research, 2023). Mais qu’en est-il réellement de leurs performances et surtout, de leurs limites ? Car si ces solutions séduisent par leur rapidité et leur accessibilité, elles ne sont pas sans risques ni défauts, notamment dans les contextes où la précision et la compréhension sont cruciales.

Limites linguistiques : entre prouesses technologiques et incompréhensions

1. Subtilités lexicales et idiomatiques

Les outils automatisés atteignent souvent des scores élevés de qualité sur des textes simples et génériques. Pourtant, de réelles difficultés subsistent dès qu’il s’agit d’expressions idiomatiques ou de jeux de mots. Par exemple, la phrase anglaise « It’s raining cats and dogs » est régulièrement traduite littéralement par les outils automatisés, donnant en français une formulation aberrante, alors qu’il faudrait la reformuler par « il pleut des cordes ».

  • Les expressions culturelles et locales sont en grande partie incomprises ou mal traduites — un enjeu souligné dans un rapport de la TAUS (2022), qui note que seulement 43 % des expressions idiomatiques sont correctement traitées par les moteurs leaders.
  • La polysémie (plusieurs sens pour un même mot) reste un écueil courant : sur des langues comme le chinois, l’allemand ou le russe, le taux d’erreurs s’accroît nettement dès lors que le contexte n’est pas explicité.

Là où un traducteur humain capte le contexte et ajuste le style, l’automatisation traite, elle, la langue au « mot à mot » ou, au mieux, par des modèles de correspondance statistique ou neuronale, pouvant conduire à des contre-sens, parfois embarrassants.

2. La gestion du ton, de la nuance et de l’implicite

Toute langue transporte des niveaux d’implicite, des tonalités (ironique, formelle, humoristique) et des marqueurs culturels que la machine saisit rarement correctement. Selon une analyse menée par l’université de Stanford (Stanford News, 2022), les moteurs de traduction échouent dans 67 % des cas à rendre une tonalité ironique de l’anglais vers le français ou l’allemand.

  • Les nuances de politesse ou de hiérarchie (souvent cruciales en japonais, coréen ou arabe) sont régulièrement dévoyées, ce qui peut transformer radicalement le sens ou la portée d’un message.
  • Les textes littéraires ou créatifs sont les plus exposés : la traduction automatisée parvient difficilement à traduire des poèmes, des chansons, ou des slogans publicitaires.

Risques professionnels : confidentialité, conformité, responsabilité

1. Protection des données et confidentialité

Lorsqu’on utilise une plateforme automatisée (Google Translate, DeepL, Microsoft Translator…), tout texte soumis transite potentiellement par leurs serveurs. Si le chiffrement est de mise, la politique de conservation et d’utilisation des données reste floue, soulevant de réels enjeux de cybersécurité et de conformité (RGPD, etc.).

  • Le Commissariat à la protection de la vie privée du Canada met en garde contre la saisie de données sensibles dans ces outils libres d’accès, rappelant que des traductions confidentielles enregistrées peuvent potentiellement être réutilisées pour entraîner les moteurs.
  • Un tiers des entreprises ont déjà été confrontées à une fuite de données liée à l’utilisation d’outils de traduction automatisée, selon une enquête du cabinet Gartner (2023).

2. Responsabilité juridique et conformité sectorielle

Dans certains secteurs (juridique, médical, financier), la moindre inexactitude peut avoir des conséquences lourdes. Or, les outils automatisés n’offrent aucune garantie sur la fidélité ou la validité des textes produits.

  • Les réglementations (RGPD en Europe, HIPAA aux USA, secret professionnel pour les avocats) imposent, de fait, une utilisation très encadrée voire proscrite des outils généralistes.
  • Dans le secteur pharmaceutique, l’Agence européenne du médicament (EMA, 2023) recommande explicitement que toute traduction employée dans les dossiers d’AMM (autorisation de mise sur le marché) soit vérifiée, validée et certifiée par des linguistes qualifiés.

Erreurs structurelles et biais des moteurs

1. Erreurs systématiques et hallucinations

Les algorithmes de traduction automatisée sont susceptibles de générer des « hallucinations »—des passages inventés ou altérés, souvent plausibles mais inexacts. Cela provient de l’approche statistique ou neuronale, qui permet aux modèles (notamment ceux basés sur le deep learning) de deviner la suite d’un texte en se fondant sur leurs milliards de textes d’entraînement… mais sans accès à une réelle compréhension sémantique.

  • En 2022, une analyse d’Eurac Research sur 1 500 traductions automatiques a révélé un taux de 11,4 % d’erreurs majeures impactant le sens ou l’exactitude factuelle.
  • Les sujets techniques ou scientifiques sont particulièrement à risque : florilège d’erreurs dans les protocoles médicaux, où des dosages, termes ou concepts sont transformés avec de graves dangers potentiels.

2. Biais culturels et linguistiques

Les modèles de traduction héritent des biais présents dans leurs corpus d’entraînement. C’est le cas pour :

  • Questions de genre : certaines langues n’indiquent pas le genre de la même façon. Les moteurs basés sur l’anglais attribuent souvent le masculin par défaut (ex. : “The nurse is kind” donne en français “L’infirmier est gentil”). Google lui-même reconnaît ce défaut et tente d’y remédier (Google Blog, 2022).
  • Biais géopolitiques : les concepts, noms propres ou revendications historiques sont parfois arbitrairement adaptés, selon les sources majoritaires dans la base d’apprentissage du moteur.

L’impact de ces biais, souligné dans un rapport du MIT (2024), est particulièrement visible sur les langues minoritaires ou peu représentées, pour lesquelles la qualité de traduction automatique chute fortement — la performance de la machine diffère alors de 15 à 40 points BLEU (score de qualité de traduction).

Quels usages pertinents pour la traduction automatisée ?

Savoirs et bonnes pratiques pour limiter les risques

Si la traduction automatisée ne doit pas être diabolisée, elle doit être utilisée à bon escient, dans des limites claires :

  1. Pré-traduction et tri rapide : pour prendre connaissance du sens général d’un texte dans une langue inconnue ou comme première étape d’un projet, en particulier sur des documents internes, non sensibles.
  2. Communication informelle ou personnelle : échanges privés, réponses à des messages sociaux, ou aide ponctuelle sur des supports non critiques.
  3. Assistance au traducteur humain : la traduction automatique peut accélérer la productivité du professionnel, qui effectue ensuite un post-édition minutieux (correction et adaptation du texte sorti de la machine).

Des plateformes comme DeepL ou ModernMT proposent des versions professionnelles où la confidentialité est respectée, mais imposent néanmoins de vérifier intégralement la qualité et la pertinence des textes générés.

Anticiper l’avenir : vers une hybridation intelligente des solutions humaines et automatiques

La technologie de traduction automatique ne cesse de progresser, portée par l’intelligence artificielle générative (comme GPT-4 ou Gemini). Pourtant, même les meilleurs modèles ne sont pas exempts de faiblesses fondamentales liées à l’absence de compréhension profonde et à la richesse du langage humain.

  • Le marché devrait atteindre 7,5 milliards de dollars en 2027 pour la TA (Global Market Insights, 2024).
  • Déjà, 58% des traducteurs professionnels travaillent en synergie avec des systèmes de post-édition (CSA Research, 2023).

La tendance ? Un avenir où la machine fournit une première ébauche, rapidement relue, corrigée et adaptée par des linguistes capables de prendre en compte les contextes, les enjeux et la culture. Les entreprises qui adoptent ce modèle hybride bénéficient à la fois des gains de temps et de la sécurité, tout en conservant la qualité indispensable à la communication internationale.

Pour aller plus loin et sécuriser ses usages

Avant d’intégrer la traduction automatisée dans un processus professionnel ou institutionnel, il s’avère essentiel de :

  • Évaluer le type de texte et son niveau de criticité : une notice technique, un contrat ou un dossier médical ne s’appréhendent pas comme un email informel.
  • Choisir un outil adapté, vérifier la politique de confidentialité et activer les options de protection des données.
  • Systématiser une phase de relecture par un expert, a fortiori lorsqu’une obligation de conformité ou d’exactitude prime.

L’appétence pour la rapidité ne doit jamais faire oublier la complexité de la langue. La traduction automatisée s’impose aujourd’hui comme un allié précieux pour les tâches répétitives ou le volume, mais gagnera à être complétée, expliquée, corrigée et valorisée par la main humaine. Car l’enjeu reste de taille : garantir que la communication ne soit ni trahie, ni trahissante — même à l’ère de l’automatisation.

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